Ravaudes Franck Morel

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Franck Morel poète oeuvrier des mots

Dans son premier recueil « Rapts », Franck MOREL nous avait déjà surpris par sa transformation en Pythie de lui-même, en oracle de tous ses instants, de ses formes et de ses ressentis. Par un souffle puissant, paradoxalement antique et moderne dans son même jaillissement, F. MOREL nous livrait une poésie singulière d’exploration de ses cosmogonies intimes, et par là même universelles, de poète.Dans « Ravaudes » Franck MOREL reprend le cours de sa tentative de rapiéçage du monde, de mise en suite de lambeaux de vie issus d’une fouille minutieuse de ses temps et de ses espaces. Et en pur poète, disparaissant sous son dire, par ses mots, il nous donne matière à vivre, mieux car autrement. Non pas vers ce que lui témoigne avoir traversé, mais vers un possible qui file entre nos doigts fragiles et empressés. Morel sait qu’ écrire c’est hurler, dire tout le mal du monde qui promet tant et ne cède rien : « regardez comme je crie, regardez comme je pleure, regardez comme je suis seul ». Les mots attisent le doute, tiennent en haleine dans l’entrevue d’un instant soudainement figé mais tout aussitôt emporté par le flux des paroles suivantes.Dans son insistance à creuser la langue, la sienne mais aussi celle d’autres ( des grecs à F. Villon pour son phrasé et à Brueghel pour ses images ) F. Morel nous livre des pelletées de mots, et le vide qu’il fait paradoxalement naître de cette accumulation témoigne de la difficulté à dire et donc à vivre : « on n’ peut pas dire c’est sûr ».
Rares sont les poètes au service d’une apparente profusion pour approcher d’aussi près le vide ultime de la pureté : « cette chose qui ne dit rien encore ». Le poète Morel s’obstine et nous révèle qu’au delà de tout ce qu’il vit et dit, brille en creux le possible d’une autre direction, d’une autre existence. Qu’il est possible d’habillerl’absence par de telles ravaudes, de s’originer en se dépouillant par couches successives. L’appel obsédant de la nudité : cette « splendeur dont on ne sait pas très bien ce que c’est »
Morel sait très bien que pour ne pas mourir, il ne suffit pas d’essayer de vivre. Que « la parole est ce moyen de se multiplier dans le néant » comme le concédait P. Valéry. Le poète nous supplie d'aller plus loin et sur des sentes différentes, de laisser le dire repousser nos propres limites. Et lui cet antique poète moderne les pulvérise, ces jusqu’au bout de lui-même, dans l’ardente fièvre de ceux qui ont expérimenté le plus rien à perdre et l’urgente nécessité de « lancer des bouts d’existence incorruptibles à la gueule de la mort » comme nous y invitait R. Char. Car la mort est bien là qui incite au ravaudage même s’il est tentant pour le poète de prétendre ne pas « braver la kère ». « De-ci de-là encore fuse un appel lent à mourir» et un « bientôt la curée » viennent nous rappeler qu’il faut encore « chercher l’ orée » … « dans ce qui fait poussière et cendre » car d’autres avant nous « ont tété un peu de la sève du réel » et ne paraissent ni repus ni soulagés.
Le but ultime de la poésie, qu’approche de très près F. Morel, est d’atteindre l’universel par un dire singulier. Car la poésie est œuvre singulièrement anonyme, participant activement au réveil de cette individuation collective indispensable à la survie de notre monde, quand « au bout du compte, il ne restera que ce qui a été écrit, aunom de tous » comme énoncé par E. Vila Matas.
Morel, poète antique moderne, fait partie de ces oeuvriers là.

Denis RAMBOUR